Solidarité fiscale entre époux : un ménage à trois avec l’administration difficile à éviter

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« Même quand on l’a perdu, l’amour qu’on a connu vous laisse un goût de miel. L’amour c’est éternel » : ces mots d’Edith Piaf auraient pu être ceux de l’administration fiscale…

En effet, en matière d’impôt sur le revenu (IR) et d’impôt sur la fortune (ISF/IFI), les époux et partenaires de Pacs font l’objet d’une imposition commune, ce qui implique notamment une solidarité entre eux pour le paiement des impositions correspondantes.

Dans certains cas limitativement prévus par la loi, les époux et partenaires qui ne vivent plus physiquement ensemble peuvent néanmoins faire l’objet d’une imposition distincte. Exit alors la solidarité fiscale…

Or, s’il peut être tentant de souscrire des déclarations séparément afin d’éviter d’être recherché pour le paiement de sommes en lien avec les revenus ou la fortune de sa moitié ou, plus simplement, pour ne plus avoir de contacts avec « l’autre », l’analyse de la loi et de la jurisprudence démontre que ce n’est pas toujours chose aisée : si des époux ou des partenaires peuvent se séparer dans les faits, l’administration fiscale peut demeurer dans le paysage de nombreuses années et les contraindre à déposer des déclarations fiscales et à acquitter leurs impôts ensemble.

Lorsque la solidarité fiscale est mise en jeu, les anciens époux et partenaires peuvent toujours solliciter une décharge de responsabilité solidaire… mais les conditions pour obtenir une telle décharge sont drastiques. Dans la mesure du possible, mieux vaut donc rester en bons termes pour ne pas se voir dépouillé !

Retour sur ces règles particulières.

L’imposition commune : pour le meilleur et pour le pire

Les époux et partenaires de Pacs doivent faire l’objet d’une imposition commune, quel que soit leur régime matrimonial, y compris donc en cas de séparation de biens et de participation aux acquêts (attention, cette imposition commune concerne également les « concubins notoires » pour le calcul de l’ISF/IFI, c’est-à-dire des couples qui ne sont ni mariés ni pacsés).

Seule exception notable, l’année du mariage ou de la conclusion du Pacs, les époux/partenaires peuvent continuer à déclarer séparément leurs revenus, ce qui nécessite l’exercice d’une option dans le corps de la déclaration de revenus, option qui ne joue pas en matière d’ISF/IFI.

Précisons néanmoins que le principe de l’imposition commune n’emporte aucune conséquence sur la résidence fiscale des deux époux/partenaires : les critères de résidence fiscale s’apprécient en effet isolément au niveau de chacun des membres du foyer fiscal et il arrive que l’un des membres du couple soit résident fiscal français tandis que l’autre est résident fiscal étranger ; on parle alors de « couple mixte » (CE 17-12-2010 n° 316144, 3e et 8e s.-s., Venekas et Mme Giannarelli, épouse Venekas).

La principale conséquence de cette imposition commune est que les époux/partenaires sont solidairement responsables des dettes fiscales du couple : chacun des époux ou partenaires peut être recherché par l’administration fiscale pour le paiement du montant total de l’imposition du couple, sans qu’il y ait lieu de procéder entre eux à une répartition préalable de la dette fiscale du foyer.

Cette solidarité continue par ailleurs de jouer après le divorce ou la rupture du Pacs pour les années où l’imposition était commune : en cas de redressement fiscal, l’administration fiscale peut ainsi rechercher l’un ou l’autre des époux/partenaires pour des dettes d’IR ou d’ISF/IFI pendant 3 années (voir 10 années dans certains cas comme celui de revenus perçus par l’intermédiaire de comptes non déclarés à l’étranger ou dans le cadre d’une « activité occulte »).

L’imposition séparée : une réalité pour certains, un mirage pour beaucoup

Les époux et partenaires de Pacs font l’objet d’une imposition séparée, pour l’année entière, dans trois cas prévus par la loi (auxquels il faut ajouter le cas de l’option au titre de l’année du mariage ou de la conclusion du Pacs – cf ci-dessus) :

  • en cas de séparation de biens s’ils ne vivent pas sous le même toit ;
  • en cas d’instance de séparation de corps ou de divorce, lorsqu’ils ont été « autorisés » à résider séparément ;
  • en cas d’abandon du domicile conjugal par l’un des époux/partenaires, lorsqu’ils disposent l’un et l’autre de revenus distincts (ce dernier cas ne s’appliquant pas en matière d’ISF/IFI, seul l’IR étant concerné).

Ces cas sont limitatifs et s’imposent de plein droit tant aux contribuables qu’à l’administration fiscale qui ne peuvent que constater si les conditions d’une imposition séparée sont remplies ou non et en tirer les conséquences, notamment en termes de solidarité fiscale.

Compte tenu des enjeux pour elle en termes de recouvrement, il n’est donc pas rare que l’administration fiscale, souvent suivie par les tribunaux, apprécie très strictement ces critères et cherche à contester la position d’époux ayant déclarés leurs revenus séparément. Inversement, si elle estime que les conditions sont réunies, elle peut chercher à imposer séparément des époux ayant déclaré ensemble leurs revenus lorsque l’imposition séparée se traduirait par une imposition plus élevée…

On peut relever les décisions suivantes en défaveur des contribuables :

  • Une femme séparée de biens ne peut faire l’objet d’une imposition distincte dès lors que, même vivant en mauvaise intelligence avec son mari, il n’est pas établi que leur vie commune ait cessé (CE 16-6-1971 n° 81220, 7e et 9e s.-s.) ;
  • Malgré sa condamnation par le tribunal d’instance à verser à sa femme une contribution aux dépenses du ménage au motif que « les époux vivaient séparés de fait », un contribuable ne peut faire l’objet d’une imposition distincte dès lors que sa femme ne dispose pas d’une résidence propre (CE 14-10-1983 n° 35620, 7e et 9e s.-s) ;
  • Un contribuable ne justifie pas sa demande d’une imposition distincte en produisant une assignation en divorce à la requête de l’autre époux, cette seule production ne suffisant pas pour établir que celui-ci aurait abandonné le domicile conjugal (CE 30-12-2009 n° 304387, 10e et 9e s.-s., Nahmias).
  • La femme abandonnée par son mari ne peut faire l’objet d’une imposition séparée que si elle dispose de revenus distincts. Le fait, pour l’intéressée, d’habiter un immeuble inclus dans la communauté ne permet pas de la considérer comme disposant d’un revenu distinct justifiant son imposition séparée (CE 28-6-1967 n° 69911).

Il ne s’agit là que d’exemples qui démontrent que, même s’ils ne s’entendent plus dans la vie, des époux ou des partenaires peuvent rester liés fiscalement l’un à l’autre pendant de nombreuses années, tant que le divorce ou la rupture de leur Pacs ne sont pas intervenus.

C’est ainsi que des époux mariés sous le régime de la communauté mais vivant sous deux toits différents continueront à faire l’objet d’une imposition commune. Même conclusion en cas d’abandon du domicile conjugal par l’un des époux si l’autre époux n’a pas de revenus propres…

Une porte de sortie (étroite) : la décharge de responsabilité solidaire

Seule porte de sortie pour un couple séparé dont la solidarité fiscale serait mise en jeu : la demande en décharge de responsabilité solidaire.

Chacun des époux ou des partenaires dont la responsabilité est mise en jeu peut en effet adresser à l’administration fiscale une demande en décharge de son obligation de paiement de l’IR et de l’ISF/IFI. L’impôt du demandeur est alors recalculé pour tenir compte de ses seuls revenus propres et de sa quote-part de revenus communs, les pénalités et l’intérêt de retard faisant, eux, l’objet d’une décharge intégrale lorsque le rappel de droits concerne des revenus propres de l’autre époux.

Trois conditions doivent être réunies pour cela :

  1. Une rupture de la vie commune ;
  2. Une disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et la situation patrimoniale et financière du demandeur ;
  3. Un bon « comportement fiscal » du contribuable concerné : ce qui implique le respect des obligations déclaratives depuis la rupture de vie commune et l’absence de manœuvres frauduleuses pour se soustraire au paiement de l’impôt. Il a ainsi été jugé que des donations de biens mobiliers faites aux enfants 9 mois après la mise en recouvrement suffisait à rejeter la demande de décharge de responsabilité solidaire (CE 3e ch. 3-6-2019 n°419223).

La principale difficulté concerne la 2ème condition, à savoir la disproportion marquée entre la dette fiscale et la situation patrimoniale et financière du demandeur. En effet, la loi ne comporte aucune précision sur les critères à retenir pour apprécier cette « disproportion ». Ce sont donc l’administration fiscale et les tribunaux qui ont donné une grille de lecture de cette dernière.

En synthèse, il faut retenir que l’administration fiscale compare la dette fiscale (incluant les pénalités et les intérêts de retard) du demandeur à son patrimoine et à ses revenus.

L’administration fiscale considère que si le demandeur est en mesure de rembourser en 10 années (!) la dette fiscale à l’aide de son patrimoine (seule la résidence principale n’est pas prise en compte) et de ses revenus (nets des charges : impôts, électricité, loyer, etc.), il n’y a pas de « disproportion marquée » permettant de prononcer une décharge de solidarité…

Les cas où une telle décharge peut être obtenue sont donc relativement rares en pratique !

Ces critères d’appréciation ont néanmoins été déterminés unilatéralement par l’administration fiscale qui « ajoute » en quelques sortes à la loi et il est reste possible d’obtenir une décharge de solidarité lorsque ce seuil de 10 années n’est pas atteint, cette « disproportion marquée » devant faire l’objet d’une « appréciation souveraine » des juges du fond. Le Conseil d’Etat a ainsi validé une décharge de solidarité dans une situation où l’ex-épouse justifiait ne pas pouvoir s’acquitter de sa dette en moins de 4 années à l’aide de l’intégralité de son patrimoine et de ses revenus estimés (CE 8e ch. 16-2-2018 n° 409496).

A noter que le reliquat de la dette fiscale restant à la charge du contribuable ayant obtenu une décharge de sa responsabilité solidaire (ou l’intégralité de la dette fiscale si la décharge a été refusée car les critères n’étaient pas réunis) peut éventuellement faire l’objet d’une remise totale ou partielle dans le cadre d’une procédure gracieuse sous réserve d’être en situation de « gêne ou d’indigence », ce qui implique de pouvoir démontrer un état de grande précarité. Mais la situation est alors cette fois à « l’appréciation souveraine »… de l’administration fiscale !

Lorsque l’on se marie, il faut donc avoir conscience qu’au-delà de l’être aimé ce n’est pas uniquement sa belle-famille qu’on épouse, mais l’administration fiscale également. Et pour longtemps !

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